mardi 10 novembre 2015

DEDICACE

SEANCE DE DEDICACE LE VENDREDI 4 DECEMBRE A LA LIBRAIRIE DE LA PRESSE DE SOUILLAC DE 9H30 A 12H POUR "LA NUIT DES EVENTAILS"

Un extrait du livre :


Adrien Sifantus avait perdu sa mère à l’âge de sept ans. On pouvait affirmer, sans se tromper beaucoup, que cet événement avait conditionné en grande partie sa vie future, en tous cas certains aspects importants de cette vie. Sa relation avec les femmes, penseront certains, devait sans doute être le premier de ces aspects. D’autant que, entre son père et ses deux frères ainés, il avait passé le reste de son enfance et de son adolescence exclusivement entouré d’hommes, dans une atmosphère dénuée de toute féminité, et où la tendresse ne se manifestait qu’au travers de gestes bourrus, d’accolades fraternelles, et de paroles minimalistes.
Pour autant, les femmes attiraient Adrien, et Adrien agissait également sur elles comme un aimant. Au cimetière, le jour de l’enterrement de sa mère, auquel son père avait cru bon de l’emmener pour (ses mots avaient été exactement ceux-là) « faciliter le travail de deuil », le petit garçon avait été cajolé de bras en bras, caressé par des dizaines de mains féminines, on lui avait essuyé doucement les joues, on avait enfoncé les doigts dans ses boucles dorées, serré ses mains encore potelées, embrassé ses joues satinées ; toute la compassion du monde, du monde féminin en tous cas, avait paru se concentrer sur cet enfant en larmes qui venait de voir engloutir sa mère au fond d’un trou parallélépipédique et glauque.
Son histoire avec les femmes avait donc commencé entre des tombes, par un clair matin d’hiver. Avait-il associé dans son inconscient enfantin la mort et l’affection ? L’image de sa mère serait-elle éternellement liée à cette pléthore de femmes qui l’avaient alors étreint, bercé, choyé, mouché, recoiffé, pressé, entouré ? Les cimetières ne lui sembleraient en tout cas jamais hostiles, il y trouverait au contraire à l’avenir, et à de nombreuses reprises, un certain réconfort, une paix bienvenue, une sérénité incomparable. Y aurait lieu d’ailleurs sa première expérience sexuelle, à une époque où ses copains testaient plus fréquemment, et sans doute avec plus d’inconfort, les banquettes arrière des voitures, les portes cochères, les parkings souterrains ou, pour les plus chanceux, une barque retournée sur une plage. Lui avait préféré sans hésiter les allées discrètes et peu fréquentées du cimetière, leur ombre tiède, et leur cocon aux reflets verts, parfumé par les arômes des plantations de magnolia et de rhododendrons.

Le jour de l’enterrement, bien loin encore de cette première étreinte érotique, il était resté longtemps en contemplation devant la pierre gravée que les pompes funèbres avaient préparée pour la tombe de sa mère, et qui ne serait posée que plus tard, après la cérémonie : « Anne SIFANTUS née JOUBERT – 1945 – 1980 ». Il avait ânonné à voix basse et à plusieurs reprises les mots et les chiffres, avec les hésitations propres à sa récente acquisition de la lecture et une application qui l’avait détourné un moment des affres de son chagrin.   Il ne pouvait ni imaginer ni admettre que ce serait désormais les seules traces tangibles de sa mère qui demeureraient désormais les seules accessibles. Plus loin, une couronne mortuaire aux couleurs pastel était déposée, en avant de toutes les autres, et portait une banderole crème avec l’inscription rouge sombre, « A ma femme, à notre mère ». Adrien déchiffra aussi ces mots-là, indifférent au défilé de condoléances auquel se pliaient son père et ses frères, serrant des mains et recevant des empoignades empreintes de pitié. Pris à son propre jeu, il continua de lire : à notre tante bien-aimée, à notre fille chérie, à notre nièce, à ma sœur, à notre collègue qui sera toujours dans nos cœurs, à notre petite-fille adorée… Il fut le premier surpris par ses propres sanglots, et tout autant par les bras qui le soulevèrent et l’emportèrent aussitôt à quelques mètres de la tombe : la femme, ou plutôt la jeune fille, qui l’avait ainsi arraché à sa contemplation morbide le couvrait maintenant de baisers, et il était enivré par son parfum, une odeur rousse et musquée, avec un fond de fruits rouges, et une note de caramel. Il enfouit son visage dans son cou, et crut défaillir. Les émotions se bousculaient, et pourtant, à cet instant précis, ce fut la béatitude qui domina. Dans les bras de cette jeune fille (qui au demeurant était sa cousine, la fille de son oncle, et dont les seize ans revêtaient une sensualité fraiche encore teintée d’enfance), il se sentit protégé, comme il l’avait été avec sa mère encore très récemment, mais aussi, et ça c’était nouveau et troublant, il éprouvait une sorte d’exaltation qui l’électrisait. Son chagrin couvait sous le feu de ce sentiment ardent, mais celui-là ne dominait plus, il reposait, comme une bête tranquillement endormie, il était presque confortable.

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