SEANCE DE DEDICACE LE VENDREDI 4 DECEMBRE A LA LIBRAIRIE DE LA PRESSE DE SOUILLAC DE 9H30 A 12H POUR "LA NUIT DES EVENTAILS"
Un extrait du livre :
Un extrait du livre :
Adrien Sifantus avait perdu sa mère
à l’âge de sept ans. On pouvait affirmer, sans se tromper beaucoup, que cet
événement avait conditionné en grande partie sa vie future, en tous cas
certains aspects importants de cette vie. Sa relation avec les femmes,
penseront certains, devait sans doute être le premier de ces aspects. D’autant
que, entre son père et ses deux frères ainés, il avait passé le reste de son enfance
et de son adolescence exclusivement entouré d’hommes, dans une atmosphère
dénuée de toute féminité, et où la tendresse ne se manifestait qu’au travers de
gestes bourrus, d’accolades fraternelles, et de paroles minimalistes.
Pour autant, les femmes attiraient
Adrien, et Adrien agissait également sur elles comme un aimant. Au cimetière,
le jour de l’enterrement de sa mère, auquel son père avait cru bon de l’emmener
pour (ses mots avaient été exactement ceux-là) « faciliter le travail de
deuil », le petit garçon avait été cajolé de bras en bras, caressé par des
dizaines de mains féminines, on lui avait essuyé doucement les joues, on avait
enfoncé les doigts dans ses boucles dorées, serré ses mains encore potelées,
embrassé ses joues satinées ; toute la compassion du monde, du monde
féminin en tous cas, avait paru se concentrer sur cet enfant en larmes qui
venait de voir engloutir sa mère au fond d’un trou parallélépipédique et
glauque.
Son histoire avec les femmes avait donc
commencé entre des tombes, par un clair matin d’hiver. Avait-il associé dans
son inconscient enfantin la mort et l’affection ? L’image de sa mère
serait-elle éternellement liée à cette pléthore de femmes qui l’avaient alors
étreint, bercé, choyé, mouché, recoiffé, pressé, entouré ? Les cimetières
ne lui sembleraient en tout cas jamais hostiles, il y trouverait au contraire à
l’avenir, et à de nombreuses reprises, un certain réconfort, une paix
bienvenue, une sérénité incomparable. Y aurait lieu d’ailleurs sa première
expérience sexuelle, à une époque où ses copains testaient plus fréquemment, et
sans doute avec plus d’inconfort, les banquettes arrière des voitures, les
portes cochères, les parkings souterrains ou, pour les plus chanceux, une
barque retournée sur une plage. Lui avait préféré sans hésiter les allées
discrètes et peu fréquentées du cimetière, leur ombre tiède, et leur cocon aux
reflets verts, parfumé par les arômes des plantations de magnolia et de
rhododendrons.
Le jour de l’enterrement, bien loin
encore de cette première étreinte érotique, il était resté longtemps en
contemplation devant la pierre gravée que les pompes funèbres avaient préparée
pour la tombe de sa mère, et qui ne serait posée que plus tard, après la
cérémonie : « Anne SIFANTUS née JOUBERT – 1945 – 1980 ». Il
avait ânonné à voix basse et à plusieurs reprises les mots et les chiffres,
avec les hésitations propres à sa récente acquisition de la lecture et une
application qui l’avait détourné un moment des affres de son chagrin. Il ne pouvait ni imaginer ni admettre que ce
serait désormais les seules traces tangibles de sa mère qui demeureraient désormais
les seules accessibles. Plus loin, une couronne mortuaire aux couleurs pastel
était déposée, en avant de toutes les autres, et portait une banderole crème avec
l’inscription rouge sombre, « A ma femme, à notre mère ». Adrien
déchiffra aussi ces mots-là, indifférent au défilé de condoléances auquel se
pliaient son père et ses frères, serrant des mains et recevant des empoignades
empreintes de pitié. Pris à son propre jeu, il continua de lire : à notre
tante bien-aimée, à notre fille chérie, à notre nièce, à ma sœur, à notre
collègue qui sera toujours dans nos cœurs, à notre petite-fille adorée… Il fut
le premier surpris par ses propres sanglots, et tout autant par les bras qui le
soulevèrent et l’emportèrent aussitôt à quelques mètres de la tombe : la
femme, ou plutôt la jeune fille, qui l’avait ainsi arraché à sa contemplation
morbide le couvrait maintenant de baisers, et il était enivré par son parfum, une
odeur rousse et musquée, avec un fond de fruits rouges, et une note de caramel.
Il enfouit son visage dans son cou, et crut défaillir. Les émotions se
bousculaient, et pourtant, à cet instant précis, ce fut la béatitude qui
domina. Dans les bras de cette jeune fille (qui au demeurant était sa cousine,
la fille de son oncle, et dont les seize ans revêtaient une sensualité fraiche
encore teintée d’enfance), il se sentit protégé, comme il l’avait été avec sa
mère encore très récemment, mais aussi, et ça c’était nouveau et troublant, il
éprouvait une sorte d’exaltation qui l’électrisait. Son chagrin couvait sous le
feu de ce sentiment ardent, mais celui-là ne dominait plus, il reposait, comme
une bête tranquillement endormie, il était presque confortable.
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